On s’est bien planté

Ulysse Lubin
10 min readMay 13, 2019

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Après deux années et demie d’une aventure entrepreneuriale passionnante, nous avons décidé de fermer les portes de notre entreprise. Dans cet article, je reviendrai sur nos erreurs, parce que soyons honnêtes, on s’est bien planté !

Je vais me prêter à l’exercice de l’introspection pour mettre en lumière tout ce que j’éviterai de refaire si je décidais de relancer une start-up. Bien sûr, vous avez le droit de ne pas être d’accord avec moi. Nombre d’entrepreneurs plus aguerris vous diront sûrement des choses différentes.

Finalement, il s’agit peut-être plus d’une auto-psychanalyse qui servira peut-être (je l’espère) à d’autres entrepreneurs.

Warning : si vous vous lancez dans cet article, vous risquez de rencontrer une écriture prolixe, mélangeant digression, illusion d’évidence, langage technique, anglicismes abusifs, memes et gifs, sur un sujet tout à fait sérieux.

L’art de convaincre

Quand on monte une boîte, on apprend à se débrouiller. Dans une petite équipe, si vous ne bossez pas, il n’y aura personne pour faire votre travail. Alors vous devenez un adepte du “get the job done”. Vous apprenez sur le tas au fur et à mesure que de nouveaux besoins se font sentir. Vous devenez un vrai couteau suisse.

Ce à quoi l’on pourrait répondre : “Très bien, vous savez faire plein de choses, mais finalement vous êtes un expert nulle part.” C’est pas faux. Quoique. On devient vraiment bon pour convaincre les autres. Si bon, que l’on finit même par se convaincre soi-même.

La “imhotep attitude”

- Comment elle va ta start-up ?
- Imhotep Imhotep

Il est normal de toujours renvoyer une image positive de sa start-up, même lorsque l’on est à une semaine de ne plus avoir de cash. Pour vos amis, votre boîte va à merveille.

Nous l’avons toujours bien fait. Sauf que nous aurions dû parler plus tôt de nos problèmes à ceux qui nous accompagnaient. Quand il est dit que : “votre banquier et votre comptable sont vos amis”, il me semble que la “Imhotep attitude” soit à proscrire.

Nous avons tardé, et ce n’était pas volontaire. À force de dire à tout le monde que tout va bien, on ne se rend même plus compte que le mur se rapproche. Et dans notre cas, il était trop tard pour réagir.

Pourquoi ? Parce que nous avons perdu beaucoup (beaucoup) de temps. Comment ? Notamment en passant trop de temps sur des sujets qui n’avaient pas lieu d’être à ce stade de développement.

Convaincre les bonnes personnes

Convaincre, c’est juste un autre mot pour dire vendre. Les préoccupations d’un entrepreneur, surtout en early stage, ne devraient se résumer qu’à deux choses :

  • Travailler sur son produit
  • Vendre son produit

Tout le reste n’est qu’une forme de masturbation entrepreneuriale. Vendre son idée, ce n’est pas vendre son produit. Et tout le temps que vous passez à ne pas travailler ou vendre votre produit, c’est du temps perdu. Les seules personnes à convaincre, ce sont vos clients et personne d’autre.

Avant même de faire notre premier euro, nous avons participé à des concours de start-up, intégré un incubateur, fait tout un tas d’afterworks, de conférences et de salons. Nous avons obtenu des bourses, levé des fonds, emprunté. Nous avons fait de la presse, de la radio, de la télé, et j’en passe. Nous avons pris beaucoup de temps à faire tout cela.

Attention, je ne dénigre pas ces activités. Je dis simplement : chaque chose en son temps.

D’ailleurs, en tout premier, il y a une autre chose que vous pouvez faire.

Tester son idée

L’entrepreneuriat demande de l’énergie. Beaucoup d’énergie. Quand je croise quelqu’un qui veut me parler de son idée et qui me fait signer un accord de confidentialité, voilà ma réaction : 🤦‍♂️.

Lorsque vous êtes en phase de réflexion, parlez de votre idée, et pas seulement à vos amis. Ils sont là par définition pour soutenir vos projets. À moins qu’ils soient de vraiment très bons amis, ils ne seront pas critiques.

Tester son idée, c’est parler à ses futurs clients. Tout le monde parle de “fake it until you make it”, mais peu le font. Nous ne l’avons pas fait. Tester son idée, ça veut par exemple dire :

  • Récupérer du mail en créant une landing page avec des screenshots photoshopés de votre future appli, puis en envoyant de la pub sur Facebook en ciblant très précisément votre audience afin de déterminer votre taux de conversion, et itérer.
  • Publier dans des groupes Facebook ciblés un formulaire simple, en laissant un champ mail facultatif à la fin pour voir le pourcentage de personnes qui veulent être au courant du lancement.
  • Réussir une campagne de crowdfunding (vous vendez déjà un produit qui n’existe pas et créez une communauté… what else ?)

Ce n’est pas grave d’avoir une mauvaise idée. Ni de se planter. Ce qui est plus grave, c’est de perdre du temps. Aujourd’hui, internet nous offre un tas d’outils pour tester rapidement ses idées.

Les concours de bullshit

Et nous dans tout ça ? Cette idée est née d’un concours de start-up, pour le fun. Nous l’avons remporté, et nous nous sommes crus sur le toit du monde, avec une billion $ company en devenir.

We are fabulous

Or, le jury était composé de tout sauf de notre cible. Nous avions un projet B2B2C (nos users sont des particuliers et nos clients des entreprises), ce qui venait contraster avec des projets plus technologiques.

J’en profite pour passer un petit coup de gueule : les concours sont (très souvent) des opérations de communication pour ceux qui les financent. C’est malheureux à dire, mais si votre projet a une dimension sociale ou environnementale, vous avez beaucoup plus de chance de gagner. Derrière, il y aura une retombée presse et le sponsor ne risquera pas d’associer sa marque à un marché qui n’est pas sexy.

Il y a aussi l’argument du : “Mais SI les concours c’est bien ! Ça vous aide à formaliser votre projet et à voir plus loin”. Non.

Faire un business plan sur 3 à 5 ans alors que vous ne savez même pas où vous en serez dans trois mois ne vous servira à rien.

Alors, est-ce inutile de participer à un concours ? Si vous avez un projet tendance et que vous êtes bon pour pitcher, allez-y. Un, pas plus. C’est très chronophage. Vous gagnerez quelques sous et obtiendrez un peu de visibilité.

Le problème, c’est que certains projets qui gagnent deviennent des machines à concours et les entrepreneurs perdent un temps fou à pitcher leur projet à droite à gauche au lieu de s’occuper de leurs clients. Ce fut mon cas.

Mais que diable allions-nous faire dans cette galère ?

On pourrait s’arrêter à la partie précédente, puisque sans tester son idée, on peut très bien se retrouver à travailler pour rien. Nous avons tout de même eu un certain nombre de signes encourageants de la part de nos financeurs (j’y reviendrai), et de la communauté.

Les utilisateurs sont les mieux placés pour vous aider à bâtir unproduit. Nous l’avons fait, mais pas assez.

Vendre Day 1

Je me souviens de longues soirées à discuter avec mon associé de notre frustration parce que notre produit n’avançait pas. Voilà comment s’est passée l’évolution de la plateforme :

Dev → Alpha → Peu de traction → User review → Dev → Beta → Pas mieux → User review → Dev → Produit sans business model viable → Mieux, mais toujours pas de cash entrant → Trop tard

Il aurait plutôt fallu parler à nos utilisateurs tout au long de la chaîne. Au lieu de vouloir à tout prix créer le meilleur produit, il me semble plus pertinent de cerner la valeur de celui-ci. C’est-à-dire : Qu’est-ce que j’apporte à mes clients ? Pourquoi est-ce qu’ils vont acheter ?

Bien souvent, ce besoin peut être comblé (au moins partiellement), par un produit qui n’est pas technologique et ne nécessite que peu voir pas de développement (et donc d’argent). Je vais prendre un exemple que je connais bien : “Faire découvrir les meilleurs sites et applis pour améliorer son quotidien”. Avions-nous besoin d’Everything.fr (j’ai réussi à ne pas citer notre start-up jusqu’ici !) pour remplir cette mission ? Non.

Qu’est-ce qu’il aurait été judicieux de faire Day 1 ?

Voilà une façon de faire : créer en un après-midi un blog présentant chaque jour des petites pépites du web. Ce contenu se serait très bien adapté sur les réseaux sociaux, avec des vidéos courtes. Puis, il suffisait de rassembler ces contenus dans une newsletter en envoyant chaque semaine une sélection best-of de nos découvertes. Et nous aurions pu vendre un package media aux entreprises.

Une communauté, cela se bâtit Day 1.

La communauté sinon rien !

Nous l’avons fait, mais bien trop tard. Nous avons passé des heures à concevoir une plateforme, à changer de technologie en cours de route (véridique, après plusieurs mois de développement), et à s’adonner à nos activités favorites déjà citées plus haut.

Nous avons changé de technologie car nous nous sommes rendu compte après plusieurs mois qu’elle n’était pas optimisée SEO, alors que c’était notre stratégie principale acquisition. Aucune boîte ne devrait payer des “experts” en early stage.

Il est bon d’avoir des notions de SEO pour coder proprement. Certes, mais aujourd’hui, si Everything fait 80% de son acquisition sur Google en naturel, le taux de returning visitor lui est loin d’être à la hauteur de nos espérances.

Nous avons voulu copier le modèle de TripAdvisor. Et oui, la SEM, c’est important, mais pas à ce stade de développement. Nous avons mis deux ans pour comprendre qu’une communauté avait plus de valeur qu’un produit.

Une question subsiste à laquelle je n’ai pas encore vraiment répondu : Pourquoi est-ce trop tard ?

Money Money Money !

More money, more problems.

L’obsession de la levée de fonds

Il existe un phénomène assez étrange à effet boule de neige en entrepreneuriat. Au niveau local, la réputation d’une start-up ne se crée pas nécessairement sur ses datas, mais plus sur le nombre d’acteurs locaux qu’elle arrive à persuader. Et alors là, nous avons été performants !

Gardons à l’esprit que nous n’avions pas vraiment conscience de tout ce que je viens d’expliquer. Nous avions le nez dans le guidon et c’est seulement avec le recul que j’arrive à analyser notre histoire à travers le prisme de nos erreurs.

Poser du How High dans un article sur les start-ups : check

Vous avez tout un tas de manières de trouver de l’argent. Vous pouvez utiliser de la love money, faire des prêts personnels, convaincre des banques, aller voir des investisseurs, réaliser un crowfunding, etc.

Le premier financeur est le plus dur à convaincre. Nous avons obtenu la première bourse French Tech de la Loire. Cela nous a donné une crédibilité au niveau local et l’effet boule de neige a commencé. On en veut toujours plus.

Nous avons de bonnes têtes (désolé ça compte), et nous sommes doués pour pitcher. Alors nous sommes allés voir de nombreux acteurs (ville, métropole, région, BPI, Réseau Entreprendre, banques) et nous avons obtenu 200k€, sans lâcher le moindre % d’equity.

Si c’était une erreur d’aller chercher cet argent à ce stade, cela n’enlevait en rien à la qualité de l’accompagnement de BPI et de Réseau Entreprendre.

Now we have a deadline

Bon, on a de l’argent. Qu’est-ce que l’on fait maintenant ? Et bien, on le dépense pardi ! Alors on recrute. Je pense qu’aucune boîte ne devrait recruter avant d’avoir trouvé son product market fit. Là encore, on s’est bien planté.

Première pression : payer les salaires.

Deuxième pression : les prêts à rembourser.

En effet, une partie de l’argent levé était sous forme de prêts. Qui dit prêt dit remboursement. Qui dit cash qui sort, et pas (ou peu) de cash qui rentre, dit deadline.

Le bon côté, c’est que cela nous a permis d’arrêter suffisamment tôt le projet sans perdre plus de temps. Sans product market fit, la joie de l’argent levée s’est vite transformée en une épée de Damoclès.

Certains entrepreneurs font miroiter des levées à plusieurs millions et des belles histoires. Il s’agit d’une toute petite minorité. La réalité, c’est que peu d’entrepreneurs arrivent à réaliser une seed correcte. La plupart ne lèvent d’ailleurs jamais.

Lever de l’argent vous fait tout de suite changer de catégorie. Vous passez de la petite start-up du coin avec deux mecs un peu allumés, à celle sur laquelle les projecteurs sont braqués et dont tout le monde attend un résultat. C’est très plaisant un temps. Cela booste l’ego. J’imagine que réussir doit être encore plus dingue.

La réalité, c’est que 9 start-ups sur 10 ne survivent pas à 3 ans. La descente fait mal. Il est difficile de s’en relever. J’en ai vu l’effet sur mon associé. Je n’en parlerai pas ici. Moi, j’ai prétendu que j’étais ok avec l’échec pendant un bon moment. J’ai fui tout ça en partant en voyage à l’autre bout du monde pendant deux mois en sac à dos pour prendre du recul.

Cela m’a fait beaucoup de bien. En revenant, j’ai voulu relancer le projet, en vain. L’équipe n’avait plus la même énergie qu’avant, et moi non plus.

J’ai perdu ma productivité pendant un bon mois (j’ai au moins fait la vidéo ci-dessus). Et aujourd’hui il est temps de passer à autre chose. Cet article, c’est aussi une manière pour moi de tourner la page.

And so what ?

J’ai écrit ce texte en une soirée, sans plan, d’une traite, avec le cœur, et je me rends compte que tout le déroulement de notre échec est extrêmement logique. Chaque événement en a appelé un autre parce que dès le départ, nous n’avions pas la bonne philosophie.

Je me suis aussi rendu compte que j’utilisais trop d’anglicismes.

Cette aventure est un échec financier. Cette boîte ne nous a pas donné les moyens d’en vivre. Mais elle a été très enrichissante humainement, techniquement et intellectuellement.

Est-ce que je regrette cette aventure ?
Pas le moins du monde.

Est-ce que je ferais les choses différemment aujourd’hui ?
De toute évidence.

Suis-je triste qu’Everything n’ait pas percé ?
Oui.

Est-ce que j’ai fini par dépasser l’échec ?
Je pense que oui.

Est-ce que si on voit un canard blanc sur un lac, c’est peut-être un signe ?

Métaphore non contractuelle de la solitude de l’entrepreneur qui se plante

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